« Le paiement de la dette n’est pas la seule condition pour réhabiliter les hôpitaux »
Avec les difficultés auxquelles nos hôpitaux sont confrontés, quelle appréciation faites-vous de la réforme initiée par l’Etat et du système sanitaire en général ?
Notre santé traverse une période très difficile. Evidemment, il y a des questions d’ordre structurel et des questions d’ordre conjoncturel. Pour les questions d’ordre structurel dans leur grande majorité -elles constituent la récurrence des crises et des perturbations- elles sont liées au non-respect des engagements par les autorités. Et, quand on s’engage et qu’on n’arrive pas à respecter son engagement, on est en train, plus ou moins, de différer les problèmes, de s’abstenir de les résoudre et si on ne les résout pas, les éléments du conflit restent et demeurent. Ils sont exacerbés par des situations. Or, c’est l’Etat qui avait décidé de réformer l’hôpital qui constitue la vitrine du système sanitaire. Jusqu’à présent, il n’est pas au bout de sa logique, il est en train de tergiverser sur des questions majeures.
Quelles sont ces questions majeures qui sont à l’origine, aujourd’hui, du quasi blocage du système sanitaire du pays ?
Les questions majeures sont d’ordre institutionnel, parce qu’une réforme s’accompagne de moyens et les moyens de la réforme, c’est le financement de projets d’établissement en ce qui concerne la réforme hospitalière. Mais, c’est au contact de la réalité du terrain que tous les documents d’ordre légal ou réglementaire connaissent quelques difficultés. Alors, pour cet arsenal qui dicte la réforme, nous avons connu des difficultés que nous avons relevées à chaque fois mais, l’Etat n’a jusqu’ici changé aucune virgule de ces lois et décrets. Quelque part, ce sont ces lois ou ces décrets d’application qui plombent la réforme.
Par rapport aux organes tel que le Conseil d’administration et sa composition, les organes consultatifs telle que la commission médicale d’établissement, les rapports aussi entre l’agent comptable et le directeur de l’hôpital, la question des signatures doubles, là aussi, il y a un vieux contentieux avec le service financier parce que, l’hôpital est sous la tutelle du ministère de la Santé et du ministère des Finances. Sur ce point aussi, il y a des problèmes. Maintenant quand un hôpital est endetté, il ne tient plus la barre et est à la merci de tous les fournisseurs et sous ce rapport, si on n’a pas les consommables les plus élémentaires, on ne peut pas avoir des soins de qualité.
Et si on n’a pas des soins de qualité, on perd sa raison d’être parce qu’on avait réformé l’hôpital pour une logique de performance dans la gestion financière et une logique aussi des soins de qualité. Donc, si on n’a pas les deux, on est encore à la croisée des chemins. On parle de réformes alors que fondamentalement on n’a pas réformé grand-chose… Tous les problèmes auxquels sont confrontés nos hôpitaux sont de deux ordres. D’abord financier, parce que l’Etat lui-même n’a pas donné une subvention qui correspond aux charges.
Ces subventions ne sont pas au prorata des charges et si par rapport à certains exercices, il y a des déficits d’exploitation, l’Etat aussi doit donner une subvention d’équilibre. De plus, l’Etat augmente les charges de l’hôpital, par ces innombrables politiques de gratuité : gratuité du sang, de la césarienne et des soins pour des personnes âgées. On ne les évalue pas et on ne donne pas des provisions suffisantes pour prendre en charge toutes ces gratuités.
Ensuite, dès qu’il y a une revendication d’ordre salariale, si elle porte sur un régime indemnitaire, l’hôpital est obligé de s’ajuster et en octroyant des primes à tous les travailleurs, oublie souvent que l’établissement de santé a son autonomie et par ricochet, doit être accompagné dans ces mesures. Le reste, c’est un problème de ressources humaines. On n’a pas les spécialistes nécessaires.
Kaolack déplore l’affectation de son gynécologue au moment où Ziguinchor se plaint de gynécologues et récemment, il y a l’initiative Bajjenu Goxx à Kolda et là aussi, il y a un paradoxe. C’est un généraliste qui a des connaissances en obstétrique d’urgence qui fait office de gynécologue dans cet hôpital. Il a du mérite mais, de nos jours, on doit avoir suffisamment de spécialistes qu’ils soient des gynéco-obstétriciens, des pédiatres ou d’autres spécialités.
Depuis l’Indépendance, nous n’arrivons pas à régler cette question d’autosuffisance en spécialistes. Or, l’Université Cheikh Anta Diop est l’une des plus prestigieuses et pratiquement tout le monde a été formé ici. L’Endss (Ecole nationale de développement sanitaire et social) existe aussi en plus du Centre d’études spéciales des services sociaux et heureusement, grâce au Sutsas, aujourd’hui, on a relevé le niveau d’accès à l’Endss après l’obtention du Bac.
Alors, comment comprendre la décision du ministre de la Santé de se séparer des contractuels non-techniques des hôpitaux et centres de santé ?
Ces contractuels ne sont pas seulement des contractuels des hôpitaux. Parce que les contractuels des hôpitaux, c’est un personnel de l’hôpital, nous n’avons pas de problèmes par rapport à ces contractuels. Chaque hôpital a son projet de ressources humaines, et examinera son cas en interne. Ce n’est pas au ministre de la Santé de donner des injonctions surtout si on fonctionne avec la règle des trois 8. Aujourd’hui, on a besoin de ressources humaines supplémentaires et on nous parle de suppression de postes. Sur cette question, on attend de voir ce que cela va donner sur le terrain et on verra ce qu’il y a lieu de faire.
Par contre ce qu’il faut préciser, les contractuels du « plan Cobra » et d’autres recrutés un peu n’importe comment, ce sont eux qui ont procédé à ces contractualisations. Maintenant, on a une belle opportunité cette année avec le ministère de l’Economie et des Finances qui va mettre à disposition 800 postes. Donc, ces postes doivent servir à régler le vieux contentieux que constitue l’ex-Cto, cela permettra aussi de régler le contentieux avec le Pdis et de pérenniser l’activité au niveau de ces postes réputés difficiles. Il n’y a pas de personne qui puisse être laissé en rade, sinon des contrats qui n’en étaient pas un et qu’ils ont dû signer.
En tout cas, nous syndicalistes, nous attendons de les voir sur le terrain, nous ne sommes pas pour la révocation parce que de notre point de vue, tous ces personnels sont utiles au système qui accuse un gap important. Tous ceux qui sont dans le système, aujourd’hui, méritent d’être capacités ou peuvent être capacités en attendant de les remplacer numériquement par des gens jugés plus aptes et plus qualifiés. Quand le Sénégal se glorifie aujourd’hui d’avoir le meilleur taux de Pev (Programme élargi de vaccination), ce ne sont pas les médecins qui vaccinent, c’est ce personnel communautaire. Encore qu’ils ont acquis un autre statut par rapport à l’évolution de la Case de santé qui est devenu un poste de santé etc.
Le statut du personnel aussi semble être un écueil pour vous. Qu’est-ce cela peut régler pour le bon fonctionnement du système sanitaire du pays ?
Ce dossier qui est encore dans le circuit administratif constitue un blocage pour le bon fonctionnement du système. Aujourd’hui, il faut que les statuts des personnels soient officialisés, que les projets d’établissement soient financés, et que les gens sachent que les frais d’hôpitaux sont chers. La subvention doit être calquée sur les charges et s’il y a une politique de gratuité, qu’on puisse faire les estimations nécessaires.
Par exemple, pour le plan Sésame, comment expliquer qu’un milliard soit alloué à 650 000 personnes âgées et pour lesquelles il faut assurer des soins complets. On gagnerait à rationaliser cela et faire en sorte que l’établissement ne soit pas dans des difficultés. On a dit que chacun a droit aux soins, alors que l’Etat ait les moyens ou pas il les cherchera pour faire face aux dépenses des hôpitaux. A mon avis, c’est très facile de désigner du doigt les directeurs des établissements et les Conseils d’administration.
A propos des directeurs et Conseils d’administration, les premiers sont accusés de tous les pêchés d’Israël par leurs personnels, tandis que les seconds sont tenus pour responsables d’une partie de la dette des hôpitaux…
Ils sont à côté de la plaque ceux qui tiennent de tels propos. On ne prend pas la défense de ces directeurs parce que dans un lot de directeurs comme celui de journalistes ou encore de ministres, il y en a qui font l’affaire et d’autres non. D’abord, il faut se dire que le directeur d’hôpital n’a pas de statut, chaque directeur a négocié son salaire avec son Conseil d’administration. Et il est le moins défendu, parce qu’il fait face à plusieurs feux.
Ceux des organisations syndicales, de l’administration centrale, du Conseil d’administration et même des usagers. Dans un passé récent, nombreux étaient les assistants sociaux qui ne pouvaient pas être réintégrés dans une administration. Maintenant, c’est dans le secteur de la santé où il y a le plus de Conseils d’administration qui exercent de manière bénévole. Ils n’ont absolument rien. Alors, pourquoi on veut les traiter comme des moins que rien ?
Si on en revient aux directeurs d’hôpitaux, avec tout ce qu’ils ont comme charge de travail comme responsabilité humaine, financière, ils vivent dans un stress permanent. Ils ne sont pas motivés et ils sont tout le temps persécutés alors qu’ils n’ont pas tous les éléments pour assurer leur devoir. Voilà les conditions auxquelles est confronté chaque directeur d’hôpital.
Pensez-vous qu’une fois la dette payée, la crise dans des hôpitaux va s’estomper ?
Eponger la dette est une condition, mais elle n’est pas la seule pour la réhabilitation des hôpitaux. Si on éponge la dette, on arrive à enlever un fardeau. Mais avec la réforme, l’Etat a dit aux hôpitaux : « Vous êtes une entreprise, on ne vous demande pas de faire des bénéfices, mais vous devez équilibrer vos comptes. » Mais dans ce cas, il s’agit de charges qui soient en rapport avec les recettes. Les recettes sont générées par la structure, mais aussi la subvention que donne l’Etat est considérée comme une recette. Or les charges, ce sont toutes les charges. C’est l’Etat qui a garanti le droit à la santé aux indigents. Donc, quand un indigent présente un certificat d’indigence, il ne paie pas les soins. Par conséquent, l’Etat doit s’acquitter du paiement de ces soins.
En outre, tous les fonctionnaires de l’Etat et leurs enfants qui se présentent dans les structures hospitalières doivent bénéficier des soins. Ce sont des consommables qu’on met sur ces personnes et en fin de compte l’hôpital présente ces états au ministère des Finances qui doit rembourser. Maintenant, il y a les urgences tout azimut.
Là également on a dit de soigner d’abord les cas urgents avant de s’occuper des formalités administratives mais, une fois l’urgence levée, vous courrez derrière la victime sans pour autant pouvoir recouvrer les montants dus. Vous voyez cette gymnastique à laquelle est exposée chaque directeur d’hôpital, écartelé entre le droit à la vie et le droit à la santé, écartelé entre les objectifs d’équilibre budgétaire. Il faudrait, dans un premier temps définir des critères d’allocation pour ces recettes et subventions…
Toutes ces lois et règlements qui aujourd’hui, guident le processus, doivent être changés. En tout cas, ce que nous devions faire sur le plan syndical, nous l’avons fait en son temps et si aujourd’hui on changeait au fur et à mesure et qu’on accompagne l’hôpital, on n’en serait pas là. C’est le ministère de la Santé qui s’est créé ses propres problèmes.
Il y a quelques semaines, les acteurs de la santé ont évalué la revue annuelle conjointe 2008 et il en est ressorti que des recommandations de 2007 ne sont pas exécutées à quelques années des Omd, êtes-vous optimiste pour l’atteinte de ces Omd ?
Ce que les gens ignorent de cette Revue c’est qu’il s’agit d’une évaluation à mi-parcours. Dans une évaluation, comme on dit, c’est l’examen des points forts qui peuvent faire l’objet d’un passage à l’échelle : distinguer les bonnes pratiques des mauvaises mais nous ce qui nous intéresse ce sont les points faibles de tous ces programmes, les manquements du système pour qu’on puisse améliorer. Rien ne sert de se glorifier comme ça alors qu’on n’a pas fait beaucoup de progrès.
Pour ce qui est de la Revue, à l’aune des Objectifs du millénaire pour le développement surtout en ce qui concerne l’enfance, il y a de bons points encore que la logistique doit être revue. Depuis 2002, beaucoup d’équipements médicaux n’ont pas été changés et c’est l’occasion de maintenir ce rythme. Par contre, pour la planification familiale, on est en train de stagner parce qu’on n’arrive pas à dépasser le taux de 6 %. Or, des pays comme le Japon ont dépassé depuis très longtemps la barre des 80%.
Vous voyez ce que cela fait comme gap. Pour ce qui est aussi du système hospitalier dans sa globalité, le constat est encore là : l’hôpital se cherche. Il y a un programme qui donne beaucoup de satisfaction, c’est celui du paludisme. C’est un point de satisfaction pour nous parce que le palu est jusque là la première cause de morbidité et de mortalité, si on arrive à faire des bonds assez respectables, nous pensons que nous sommes sur la bonne voie.
Source : Le quotidien